Zéros
Allez lire "Éloge des zéros", la dernière petite bafouille de cette chère Sand dont les idées et les mots me font bien souvent hocher la tête avec sourire.
J'insiste. Ce qui est écrit là me parle beaucoup, et en grande partie elle y écrit des choses que j'aimerais dire mais elle le fait bien mieux que moi.
J'ai moi aussi grandi dans un milieu hyper-compétitif où faire des choses sans y exceller était "une fantaisie", où il ne suffit pas d'être content il faut être admiré, où la validité d'une approche ne tient pas du tout à ce qu'on en retire soi-même mais bien à ce qu'on en perçoit de l'extérieur. Sans grande surprise cette pression venue du dessus n'a pas engendré un multi-champion mais plutôt un multi-couillon qui n'ose pas faire grand chose. La peur de se ridiculiser prend la plupart du temps le dessus, parce que faire quelque chose c'est s'exposer au jugement. Quand le pilier moral de ton enfance c'est le qu'en-dira-t-on tu apprends vite que le meilleur moyen de ne pas se ridiculiser c'est de ne rien faire.
Heureusement j'ai pu m'en sortir partiellement avec un mélange de refus et de furtivité. Ayant grandi gringalet les compétitions sportives m'étaient inaccessibles, quand plus tard mon corps n'était plus un obstacle et que j'ai pu pratiquer du sport régulièrement j'ai toujours refusé de prendre part aux tournois inter-clubs. Si je ramenais un 18/20 à la maison mes parents trouvaient toujours un moyen de me demander quel score avait obtenu Machin dont on sait d'avance qu'il claque toujours des 20, du coup j'ai fini mon secondaire en maîtrisant l'art d'obtenir pile poil la note qu'il faut pour ne pas être recalé (et je n'ai jamais achevé mes études supérieures).
La furtivité c'est plus simple : quand on ne parle pas de ce qu'on fait et qu'on le fait loin des regards il est peu probable qu'on finisse par se ridiculiser. L'inconvénient c'est qu'on se prive du soutien ou des conseils qui rendraient la chose plus aisée, en plus de se priver de la satisfaction du partage. Mes amis disent de moi que je suis "discret".
Enfin bon je m'en suis sorti dans le sens où je suis encore en vie, je pratique un métier qui n'est pas le dernier choix de la liste, je vis avec quelqu'un qui n'a pas été choisi par mes parents… mais il y a encore une foule de choses que je n'essaie même pas, paralysé par l'idée que ne pouvant pas y consacrer beaucoup de temps j'y serai mauvais. Mes guitares peuvent en témoigner.
Là où je m'en tire pas trop mal c'est que je suis barbu dans une société où les hommes ont tous droit à l'erreur et sont même félicités pour leurs échecs. On ne dit pas "j'ai planté six tentatives d'entreprises", on dit "je suis serial-entrepreneur". Pas certain que ça marche aussi facilement en version "entrepreneuse", mais sur cet aspect je préfère laisser la parole à celles qui savent.
Pour ma part j'en reste à ceci : clamons le droit à la médiocrité, soyons ordinaires avec la tête haute. Parce que ce qui compte ce n'est pas ce qu'on va laisser, ce n'est pas comment on est perçu. Ce qui compte c'est ce qu'on vit.