08/12/2008

Les blogs détrônés par Twitter

Ça choque hein? Toute personne qui aura croisé des blogs et le système Twitter aura conscience de la profonde différence entre les deux. Le blog est à Twitter ce que le courrier de cinq pages est au SMS. Evident. Pas pour Paul Boutin.

Paul Boutin est un des auteurs qui se fait publier dans le magazine Wired. Wired c'est un peu la concrétisation de la bulle dot-com de 1997-1998, à l'époque ce magazine l'était vraiment — branché — mais il faut bien avouer que depuis la qualité de cette publication est en déclin constant. Prenez un magazine qui se targue d'être visionnaire et d'avoir l'autorité de dire ce qui est "in" et ce qui est "out", équipez-le d'auteurs qui n'ont pas plus d'humilité ni de sens du recul, vous obtenez quelque chose où le pire côtoie de près le meilleurs. Paul Boutin est bien dans le moule; il a signé de très bons articles, mais son dernier en date est au mieux très drôle.

Il se trouve que le bougre ne vivant pas tout à fait dans une grotte perdue au milieu du désert de Gobi, il a fini par découvrir que ce qui caractérise Internet ces cinq dernières années c'est bien la multiplications de sites à vocation "sociale". Flickr, YouTube, Facebook, Twitter. Personne ne l'a pas remarqué.

Donc voilà que l'ami Boutin, jaugeant l'importance de ces sites et leur indéniable succès auprès des foules, se sent d'humeur à prédire la mort imminente de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un blog. Evidemment. Selon ses propres termes, il y a quatre ans un blog était une idée brillante et novatrice, aujourd'hui ce n'est plus la peine. Pourquoi? Parce que le concept de "blog" a été adopté par des professionnels et que donc on voit fleurir partout des blogs qui sont rédigés par des équipes de rédacteurs pondants jusqu'à plusieurs dizaines de posts par jour. De ce fait, un particulier ne peut pas tenir face à ça en terme de productivité, donc de visibilité, de popularité.

Conclusion: autant consacrer son énergie à poster ses photos sur Flickr, remplir son profil Facebook et n'utiliser plus que Twitter pour s'exprimer. Ça ou prendre la peine de rédiger des posts soignés qui seront de toute façon écrasés parce qu'ils ne font pas le poids face à des blogs professionnels... et puis en plus sur les blogs il y a les trolls. Sur Twitter on peut pas répondre. Ah si? Dommage, on dirait qu'il n'a pas fait ses devoirs...

Ainsi, pour lui, la blogosphère (oui, j'ai dit "blogosphère", fouettez-moi) toute entière peut se remplacer d'elle-même par un florilège de petits messages de 140 caractères maximum (tiens, c'est encore plus court qu'un SMS en fait). Pourquoi peut-il bien dire ça?

Première possibilité: c'est de la pure provocation, l'idée est de pondre un article écœurant pour qu'il soit cité partout, générer une horde de pageviews et se faire un peu remarquer des pontes de Wired. Mouais. D'un coté ça colle au raisonnement qui mesure l'intérêt d'une démarche à la hauteur qu'elle obtient dans les recherches Google.

Deuxième possibilité: il y croit vraiment, et donc pour lui tout blogger ne rédige et publie que pour attirer à lui un maximum de visiteurs; évidemment pour générer des profits publicitaires parce que c'est bien connu: tout ce qu'on fait sur Internet on le fait pour le pognon facile! Forcément, vu comme ça, si les pageviews sont détournées par des mastodontes professionnels, c'est pas la peine.

En tout cas ça suppose que les blogs ne sont pas là pour exprimer une opinion, mais pour attirer des visiteurs. Tout le monde est bien d'accord sur le fait que des photos du chien de tante Irma c'est moins vendeur que des seins nus de jeune fille épanouie... mais alors pourquoi vois-je tant de Mirza et si peu de nichons? Ah, on me souffle dans mon oreillette que finalement il semblerait que ce qui attire les gens vers les outils de blogging c'est justement la facilité d'exprimer à ses proches et aux autres son ressenti, son vécu, son opinion, ou simplement partager ses découvertes. Ah ben du coup c'est limpide, je comprends mieux pourquoi la grande majorité des blogs de particuliers sont un mélange d'albums photos, de billets d'humeur qui sentent le journal intime, et des liens vers l'une ou l'autre vidéo rigolote. "Tiens c'est pas mal ça" entraîne "j'ai envie d'en parler à mes amis", qui entraîne "je vais le mettre sur mon blog". Ça se tient.

Finalement ce qui est très amusant avec le raisonnement de Paul Boutin, c'est qu'à le lire on dirait qu'il est en ligne depuis moins de cinq ans. Il a peut-être perdu de vue que longtemps avant le Web il y avait les fichiers .plan et .project qu'on plaçait dans son répertoire d'utilisateur pour que les autres puissent les voir via finger. Il a peut-être déjà oublié que pendant longtemps des pages Web servant à informer le public de ce sur quoi on travaille étaient justement nommées ".plan" (les joueurs n'auront pas oublié le .plan de John Carmack par exemple). Quand le Web s'est popularisé, chacun y allait de sa "home page" sur laquelle on croisait le plus souvent la photo de l'auteur, de sa femme, de ses enfants, de son chien, et un petit compte-rendu de son dernier voyage. On a parlé longtemps de "online diaries" avant que le terme "weblog" n'ait fait son apparition. Avouez quand même que quand on n'est pas un "technique" dans l'âme, c'est plus simple d'utiliser Blogger, TypePad, ou (gloups!) Skyblog que de plonger dans le code, uploader ça chez son hébergeur, et répéter l'opération à chaque mise à jour.

D'où le succès des blogs "clé en main" de ces dernières années, qui amène dans la blogosphère des millions de gens, lesquels évidemment rendent nettement plus anonymes les pionniers des premiers âges. Et quand un de ces pionniers ferme son blog, Boutin en fait un phénomène de société et prédit la mort de tous les blogs.

Oui mais non! Ne mélangeons pas tout. Flickr est une galerie de photos; Facebook sert à garder le contact avec des gens et à retrouver ceux qu'on a perdu de vue; Twitter a pour vocation les notifications brèves et ponctuelles qui ne mériteraient vraiment pas un post complet. Aucun de ces services ne peut remplacer vraiment un "vrai" blog, qui est avant toute chose un lieu où publier des réflexions propres qu'on prend la peine de développer; et les soumettre à des commentaires de visiteurs qu'on espère amener un débat constructif.

Les blogs ne se comparent pas à leur popularité. La popularité ne fait pas la qualité. Être lu ne rend pas pertinent. On ne démarre pas un blog pour y coller un compte AdSense. On ne fait pas ça pour le fric.

Mais ça, certains ne peuvent pas le comprendre; faudrait le leur dire en 140 caractères peut-être...


Tags:

blogs | humeur | twitter | wired


"Proud to be black y'all! Get Blackbird" (09/12/2008)Comment devenir un hacker (03/12/2008)